Alain Bashung : l’alchimiste du rock français
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Alain Bashung : l’élégance du chaos
Figure à part dans le paysage musical français, Alain Bashung incarne la rencontre rare entre la poésie, le rock et l’expérimentation sonore. Pendant plus de trois décennies, il a sculpté une œuvre dense, exigeante et profondément singulière, oscillant entre mystère et émotion brute.
À la fois dandy et électron libre, il a bâti une carrière où chaque album semble réinventer la chanson française, la tirant vers des territoires inconnus. Loin des modes, Bashung s’est imposé comme un artiste de la nuance, du trouble, du vertige. Sa voix, reconnaissable entre mille, a traversé les décennies sans perdre de sa force ni de sa fragilité.
Aujourd’hui encore, écouter un disque de Bashung, c’est plonger dans un univers où les mots se tordent, où le sens échappe parfois, mais où l’émotion reste intacte. C’est un voyage au cœur d’une œuvre qui n’a jamais cessé de dialoguer avec son temps.

Biographie : de l’ombre à la lumière
Les débuts hésitants
Né Alain Baschung le 1er décembre 1947 à Paris, il grandit entre la capitale et la campagne alsacienne. Sa jeunesse est marquée par une grande solitude et un besoin viscéral d’expression. Très tôt, il découvre le rock’n’roll, les guitares électriques et la langue anglaise, qui deviendra une base essentielle de sa musicalité.
Dans les années 60, il tente sa chance comme interprète sous différents pseudonymes, enregistrant des 45 tours passés inaperçus. Pendant plus d’une décennie, il cherche sa voie, travaille comme arrangeur ou compositeur pour d’autres, notamment Dick Rivers. Rien ne semble encore annoncer la carrière mythique qui l’attend.
La révélation “Gaby oh Gaby”
Il faut attendre 1980 pour que la France découvre enfin ce visage singulier. Avec Gaby oh Gaby, écrit avec son complice Boris Bergman, Bashung signe un tube planétaire. La chanson, entre ironie et sensualité, explose sur les ondes. Le public découvre un artiste à la fois mystérieux et magnétique, capable de danser sur la frontière entre le populaire et l’avant-garde.
Mais Bashung ne se contentera pas de ce succès. Là où d’autres auraient capitalisé, lui choisit la rupture. Il s’émancipe des codes de la variété pour explorer une écriture plus sombre, introspective et poétique.
Les années 80 : la métamorphose artistique
Son virage audacieux s’amorce avec Pizza (1981) et surtout Play blessures (1982), coécrit avec Serge Gainsbourg. Cet album, longtemps incompris, est aujourd’hui considéré comme une pierre angulaire du rock français. Voix grave, textes cryptiques, sonorités froides : Bashung s’y met à nu, entre provocation et désespoir.
Puis viennent Novice, Passé le Rio Grande et Osez Joséphine (1991), album de la renaissance. Ce dernier, enregistré entre Londres et Memphis, dévoile un Bashung apaisé, porté par des influences blues et americana. Madame rêve, Volutes et le morceau-titre deviennent des classiques.
Les dernières années : l’apothéose et la lumière
Les années 2000 consacrent Bashung comme un monument. Fantaisie militaire (1998) puis L’imprudence (2002) élèvent la chanson française à un niveau de sophistication rare. Les arrangements sont somptueux, les textes signés Jean Fauque se font plus introspectifs, presque métaphysiques.
En 2008, gravement malade, il enregistre Bleu pétrole avec Gaëtan Roussel (Louise Attaque). L’album, d’une intensité bouleversante, reçoit trois Victoires de la musique. Quelques mois plus tard, Bashung tire sa révérence, le 14 mars 2009, à 61 ans. Son dernier concert à l’Olympia, donné malgré la maladie, reste l’un des plus poignants de l’histoire musicale française.
Discographie : l’art de la rupture
Les albums essentiels
Roulette russe (1979) – L’explosion rock. Premier chef-d’œuvre, porté par Gaby oh Gaby et Vertige de l’amour.
Play blessures (1982) – L’album de la rupture. Gainsbourg à la plume, Bashung au bord du gouffre.
Osez Joséphine (1991) – La maturité lumineuse. Enregistré entre Paris et Memphis, alliance subtile de rock, blues et poésie.
Fantaisie militaire (1998) – L’album-sommet. Récompensé par trois Victoires de la musique, il mêle élégance, noirceur et mélancolie.
L’imprudence (2002) – Une œuvre grave et contemplative. Les mots deviennent paysages.
Bleu pétrole (2008) – L’ultime offrande. Une introspection douce-amère, à la fois lucide et apaisée.
Anecdotes et collaborations
C’est en écoutant un mixage raté que Bashung a trouvé le son de Vertige de l’amour.
Avec Gainsbourg, il enregistre Play blessures en deux semaines, dans une atmosphère électrique.
Il refusera plusieurs collaborations prestigieuses pour préserver son indépendance artistique.
Son fidèle parolier Jean Fauque dira de lui : “Bashung ne chantait pas les mots, il les habitait.”
Héritage : un poète moderne et intemporel
Alain Bashung laisse derrière lui une œuvre monumentale. À la fois expérimentale et populaire, elle a ouvert la voie à une génération d’artistes désireux de réconcilier texte et son, sens et sensation.
Son influence se ressent chez Dominique A, Étienne Daho, Benjamin Biolay, Arman Méliès, ou encore Feu! Chatterton, qui revendiquent tous une filiation avec sa liberté de ton.
Bashung a su prouver que la chanson française pouvait être audacieuse, littéraire, et viscéralement rock. Ses textes, souvent énigmatiques, fonctionnent comme des poèmes contemporains, où chaque mot est une énigme, chaque silence une émotion.
Influence et postérité : l’empreinte du mystère
Même après sa disparition, Bashung continue de fasciner. Ses albums se rééditent régulièrement en vinyle, souvent dans des éditions audiophiles. Chaque écoute révèle une nouvelle dimension, une subtilité cachée dans les arrangements.
Ses chansons ont inspiré des documentaires, des reprises et des hommages scéniques. En 2020, l’album En amont, publié à titre posthume, dévoile des inédits d’une beauté saisissante.
Son influence dépasse la musique : il a inspiré des écrivains, des cinéastes et même des plasticiens. Son univers, à la fois sombre et lumineux, continue d’irriguer la culture française.
Pourquoi collectionner Bashung : conseils aux mélomanes
Pour les amateurs de vinyle, Alain Bashung est un incontournable. Ses disques, souvent finement produits, prennent toute leur ampleur sur platine.
Les premières éditions de Roulette russe et Play blessures sont particulièrement recherchées pour leur son analogique brut.
Osez Joséphine et Fantaisie militaire figurent parmi les plus beaux pressages des années 90, avec une profondeur sonore remarquable.
Les rééditions audiophiles récentes offrent un excellent compromis entre qualité et accessibilité.
Conseil : privilégiez les pressages originaux pour la chaleur du mixage et la dynamique des instruments. Et si vous collectionnez les CD, les versions remasterisées des années 2000 incluent souvent des bonus et livrets détaillés.
Chaque album de Bashung est une pièce d’histoire, un fragment d’âme. Les posséder, c’est conserver une part de la poésie française.
L’homme qui chantait entre les lignes
Alain Bashung reste un mystère. Un artiste total, insaisissable, qui n’a jamais cessé de brouiller les pistes entre le rêve et le réel.Ses chansons résonnent comme des fragments de vérité, des confidences à demi-mot, portées par une voix unique.
Plus de quinze ans après sa disparition, il demeure l’un des rares à avoir fait de la chanson un art moderne, à la fois sensuel et cérébral. Bashung, c’est l’élégance du chaos, la beauté dans la dissonance.
Que l’on redécouvre ses albums sur vinyle, que l’on plonge dans la poésie de ses textes ou que l’on se laisse emporter par son timbre profond, on comprend vite : Bashung n’a jamais chanté pour plaire, mais pour vivre.












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